Quels textes parlent positivement de la grotte en philosophie ?
Question d'origine :
Bonjour,
je réalise un mémoire sur le "Charme de la grotte" et son lien avec le thème de l'harmonie en philosophie.
Malgré des recherches assidues je n'ai que très peu de sources sur le côté "positif " de cet environnement
J'ai quelques pistes comme la nature onirique, magique, le centre, l'utopie et la demeure divin, Peut être il ya t'il d'autres angles plus fertiles en termes de réflexions sur ce sujet ?
Sauriez-vous m'aidez ?
Par ailleurs je vous remercie déjà pour vos services, les réponses disponibles en ligne m'ont été d'une grande aides.
Réponse du Guichet
On peine effectivement à trouver des connotations positives à la symbolique de la grotte. Toutefois, de nombreuses cultures associent la grotte à la naissance, à la sécurité, à l'initiation, voire à l'émergence du monde et de l'humanité.
Bonjour,
Dans notre culture, la grotte n'est effectivement pas célébrée pour son aspect riant et sympathique : qu'on songe à l'Allégorie de la caverne où les humains enchaînés ne voient que l'ombre portée du monde devant eux ou la grotte de Polyphème, où, selon l'Odyssée, Ulysse et ses compagnons frôlent la mort, les lieux souterrains, étroits et obscurs ont mauvaise presse.
Toutes les mythologies ne partagent cependant pas cette sensibilité. Dans l'Encyclopédie des symboles [Livre] / éd. sous la dir. de Michel Cazenave, l'entrée "caverne" révèle la richesse des symboliques associées aux grottes. Lieux du secret, peut-être plus anciens lieux de cultes connus, celles-ci sont également associées à la naissance : "sein créateur de la mère" pour certains peuples amérindiens, "cavernes créatrices Chpomoztoc de la mythologie aztèque", lieu de repos de la déesse de la lune chez les mayas, les grottes ont pu représenter le vagin, et par là, le pouvoir de génération. Dans le monde méditerranéen, comme dans le culte de Mithra ou le mythe de Throphonios, les grottes sont le lieu où on reçoit l'initiation, le don de double vue, ou, du moins, la connaissance du chemin vers la lumière. Dans de nombreux endroits du monde, les cavernes sont des "lieux de naissance des dieux et des héros".
On sait par ailleurs que Zeus, nourrisson, menacé par son père Cronos, passe pour avoir été caché dans une grotte du Mont Ida, en Crète : la grotte est donc bien un lieu protecteur.
L'iconographie chrétienne, notamment orthodoxe, a souvent représenté le Christ naissant dans une grotte, et Saint-Jean y recevant la révélation de l'Apocalypse. Les mythologies et folklores celtes en font des lieux certes dangereux, mais recelant des trésors - de même que la psychanalyse a pu y voir l'aspiration à la régression mais aussi le lieu de la sécurité absolue, une zone onirique dangereuse mais permettant de découvrir son moi profond... Enfin, en extrême-orient, il s'agit du "centre spirituel du monde et de l'homme comme image du macrocosme universel" - on parle ainsi, en Inde, de "caverne du coeur".
Dans son très bien documenté Dictionnaire des croyances et symboles de l'Antiquité, Jean-Claude Belfiore insiste beaucoup sur la grotte comme lieu de contact entre les hommes et les divinités dans les religions méditerranéennes antiques : demeures des nymphes, oracles et autres sibylles, elles donnent accès aux mystères de la nature ainsi qu'à la connaissance du futur et à la compréhension du destin. En Grèce et dans le monde romain, ce sont des lieux sacrés où on pratique cultes et sacrifices pour Dionysos, Coré, Héraclès, Pan ou encore Rhéa. Les grottes sont également la porte des Enfers - mais les cultures de l'antiquité n'étant pas enclines à réduire leur pensée à des dichotomies comme bien/mal, l'ambivalence du symbole est très riche - à tel point que les premiers ermites chrétiens se terreront dans des grottes où il connaîtront certes les affres de la solitude, mais également l'espoir de la sainteté...
Le Dictionnaire critique de mythologie de Jean-Loïc Le Quellec et Bernard Sergent, somme de référence, ne consacre pas d'entrée à la grotte en tant que tel, mais offre un développement très complet sur le mythe de l'émergence, attesté dans nombre de sociétés, notamment en Afrique et dans le monde amérindien. Ce mythe, selon lequel l'humanité, jadis retenue sous terre, aurait soudain émergé du sol par l'ouverture d'une grotte... la grotte est donc le lieu du passage et de l'ambiguïté, puisque si elle mène aux ténèbres, elle mène aussi à la lumière. Signalons en outre que ce mythe est probablement un des plus anciens encore en usage, comme le remarque Le Quellec dans un entretien avec Philosophie magazine - et qu'aujourd'hui encore, dans certaines sociétés, on vient célébrer des rites dans les grottes afin d'assurer la continuité de la création :
Le mythe de l’Émergence primordiale [...] expose comment, à l’origine, humains et animaux vivaient sous terre, et comment, un jour, ils sont sortis à l’air libre en passant par l’ouverture d’une grotte, avant de se disperser de par le monde. Les mythes anthropogoniques, ceux qui racontent l’origine de l’humanité, sont parmi ceux qui résistent le plus au changement, et celui de l’Emergence primordiale, tout particulièrement, est de très loin le plus répandu actuellement sur le globe. Les mythologues qui se sont spécialisés dans l’étude comparée de ce type de récit, comme Yuri Berezkin, Bernard Sergent, Julien d’Huy ou moi-même, avons réussi à démontrer que certains mythes remontent au moins au Paléolithique récent… et c’est justement le cas pour celui-ci. Or si ce mythe était bien présent quand les cavernes furent ornées, le plus probable est que les artistes l’avaient en tête au moment même où ils œuvraient. Si leur grand récit supposé dire le vrai sur l’origine racontait que les premiers humains et les premiers animaux étaient sortis d’une grotte, alors ces artistes du Paléolithique ne pouvaient l’ignorer quand ils s’enfonçaient dans la nuit des cavernes pour y représenter leur bestiaire essentiel. Ils y ont aussi figuré des humains « animalisés » ou en partie animaux, qu’on appelle des théranthropes. Et bien des versions du mythe racontent justement qu’animaux et humains étaient encore indistincts quand ils vivaient sous terre et qu’ils ne se sont individualisés qu’au moment précis de l’Émergence.
[...]
Si l’on observe les rites associés à des grottes aujourd’hui considérées par diverses populations comme étant des « trous de l’Émergence », on découvre l’existence d’activités cérémonielles qui visent à maintenir ou réactiver la création continue de la vie, notamment par la réalisation d’images pariétales. Cela s’inscrit dans une mythologie évoquant non pas une création effectuée une bonne fois pour toutes, comme dans le récit biblique, mais développant au contraire l’idée d’une création continue, qu’il faut à tout prix maintenir active par la réalisation scrupuleuse de rites appropriés. C’est ainsi qu’en diverses régions d’Amérique du Nord, de Mésoamérique ou d’Océanie, des officiants retournent toujours dans des cavernes – ou y retournaient il y a quelques décennies seulement – pour y assurer la multiplication des vivants, pour y rejouer la création, pour y retrouver et animer les germes de vie qui se laissent deviner dans les formes naturelles des parois.
Bonne journée.